Les Etats-Unis ont toujours (eu) du mal à reconnaître les génocides
Cette semaine, cela fera 70 ans que les Etats-Unis et leurs alliés ont publié une déclaration confirmant que les Allemands perpétraient un génocide sur les Juifs d’Europe. Mais l’annonce historique a été faite seulement après avoir été édulcorée pour des raisons politiques.
1941-1942: les gouvernements britannique et américain ont reçu des rapports plus détaillés au sujet de la machine de guerre nazie massacrant des dizaines de milliers de Juifs européens en Russie occupée.
Mais les responsables alliés supposaient que les meurtres étaient les atrocités de la guerre aléatoires plutôt qu’une partie d’une stratégie nazie organisée. Ces hypothèses ont commencé à changer avec l’arrivée de deux rapports de l’Europe en été 1942.
Un rapport transmis clandestinement en juin en provenance de Pologne révélait que les Allemands avaient «entamé l’extermination physique de la population juive sur le sol polonais», et avait déjà assassiné environ 700 000 Juifs polonais.
En août, un télégramme du représentant du Congrès juif mondial à Genève, Gerhart Riegner, indiquait que les Allemands avaient pour but «d’exterminer tous les Juifs allemands et des zones sous contrôle allemand en Europe après avoir été concentrées à l’est (probablement en Pologne). »
Le Département d’Etat a refusé alors de passer le télégramme de Riegner aux dirigeants juifs américains, citant ce qu’un responsable appelait « la nature fantastique de l’allégation et l’impossibilité à être de quelque secours. »
Il y avait, en fait, de nombreuses façons pour les États-Unis d’aider – mais il aurait fallu prendre des mesures que l’administration Roosevelt était peu disposée à considérer, comme le fait d’admettre davantage de réfugiés ou d’exhorter les Britanniques à ouvrir les portes de la Palestine.
Trois longs mois plus tard, l’accumulation de preuves a forcé le secrétaire d’État Sumner Welles à reconnaître qu’«il n’y a pas d’exagération. Ces documents [de Riegner et autres] sont évidemment corrects ».
Au même moment, les membres du Parlement britannique, les organisations juives britanniques, et l’archevêque de Canterbury pressaient le gouvernement de Churchill à réagir. Pour atténuer cette pression, Londres a suggéré à contrecœur à Washington que les Alliés publient une déclaration commune.
Le département d’Etat dans un premier temps a résisté à la proposition, craignant que « les divers gouvernements de l’Organisation des Nations Unies [puisque les Alliés étaient officieusement informés] s’exposent à une pression accrue de toutes les parties à faire quelque chose de plus spécifique afin d’aider ces gens. »
L’administration Roosevelt a finalement accepté la déclaration, mais seulement après avoir édulcoré une partie du discours. Par exemple, la phrase «les rapports de l’Europe qui ne laissent aucun doute » (qu’un assassinat de masse était en cours) a été réduit à «de nombreux rapports venant d’Europe ».
La version finale, publiée le 17 décembre 1942, a été signée par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union soviétique, et le gouvernement en exil de huit pays occupés par l’Allemagne. Le pape Pie XII a refusé de signer parce que – le secrétaire du pape a expliqué – « le Vatican préférait condamner les crimes de guerre en général plutôt que distinguer quelques types d’atrocités ».
La déclaration condamne la « politique bestiale d’extermination de sang-froid nazi ». Cette reconnaissance est importante. Mais la déclaration ne proposait aucune mesure pour sauver les Juifs. L’idée d’inclure une offre d’asile pour les réfugiés juifs a été écartée de la déclaration parce que, comme un fonctionnaire britannique l’a expliqué, cela signifierait faire une offre « qui nous suivrait à jamais » – en d’autres termes, certains réfugiés pourraient vraiment les prendre au mot.
A notre époque aussi, le gouvernement américain a parfois trouvé des raisons politiques pour résister à la reconnaissance d’un génocide. L’administration Bush a pendant longtemps résisté à qualifier les massacres au Darfour de génocide. L’utilisation du terme accroitrait la demande d’une intervention américaine. Ce n’est qu’après de fortes pressions des groupes de droits de l’homme, et l’adoption par les deux chambres du Congrès des résolutions de le condamner comme génocide que le gouvernement Bush a finalement accepté, en septembre 2004, d’utiliser ce terme.
De même, le président Obama, quand il était candidat en 2008, avait promis de reconnaître que les Turcs ont commis un génocide contre les Arméniens. Mais depuis qu’il est devenu président, M. Obama a préféré éviter la colère de la Turquie – ainsi chaque année, quand il publie une déclaration sur la journée durant laquelle les Arméniens commémorent le massacre, il s’y réfère par le terme arménien « Meds Yeghem, » au lieu de « génocide ».
Soixante-dix ans après la Shoah, en dépit de la forte augmentation de la sensibilisation du public à l’Holocauste, et malgré la récurrence des assassinats en masse à notre époque, des considérations politiques peuvent encore parfois entraver la lutte contre le génocide.
Traduit à partir d’un article de Rafael Medoff , directeur de l’Insitut pour les Etudes sur l’Holocauste David S. Wyman
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